Communiqué de « E & D » du 11.04.04 : les ZEP et autres sujets à Nevers 

En revenant de Nevers
Brefs échos subjectifs du XXe colloque d’Éducation et Devenir à Nevers (Nièvre) les 2 – 3 et 4 avril 2004.

L’école et le service public

D’emblée, la Rectrice, Madame Claire Lovisi, invitait le colloque à se pencher sur la question : « Comment le service public d’éducation peut relever le défi de résorber les sorties du système d’éducation sans qualification reconnue ? » Elle ajoutait que le service public, laïc, doit prendre en charge tous les enfants, sans contrainte de rendement, mais avec une obligation d’efficacité, de qualité de la prestation ; rien ne permet d’affirmer que davantage de moyens donne davantage de qualité.
Jean-Louis Rollot, IGEN, Vice-président du Conseil Général de la Nièvre dans son intervention sur « Service public et territoires » notait qu’il n’y avait pas obligatoirement coïncidence entre aménagement du territoire et besoins de l’élève. Ainsi le maintien de 7500 classes uniques ou de mini collèges ne donne pas à l’élève l’ouverture nécessaire. Dans le 1er degré, les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) sont fragiles. Il préconise des écoles de secteur appuyé sur des communautés de communes. Pour les collèges, voire les LP et les Lycées, il faut repenser une politique de l’internat. L’ancien responsable de la Ligue de l’enseignement rappelait aussi que pour travailler avec des partenaires, il fallait d’abord les reconnaître.
Cyril DELHAY, Responsable des "Conventions Éducation prioritaire" à Sciences Po. présente la politique de diversification du recrutement objet de tant de polémiques. Les obstacles au recrutement dans les PCS défavorisées tiennent au handicap financier, au manque d’informations personnalisées, « biais social » lié à la nature des épreuves de sélection et surtout auto-censure (« Sciences Po., ce n’est pas pour moi ! »). Ce diagnostic aboutit à des réponses en : découverte personnelle de Sciences Po., épreuves exigeantes mais adaptées, aides matérielles et financières. Les attaques furent vives : Sciences Po. joue les dames de charité, on va recruter les « bourgeois » des ZEP, ces « boat people » de Sc. Po. ne sauront pas s’intégrer et bien sûr la baisse du niveau est assurée. Le bilan tiré des premières admissions montre que l’intégration est réussie. Et cette réussite a des impacts positifs aussi dans les lycées concernés, avec notamment le relèvement du niveau d’ambition des élèves, mais aussi des enseignants pour leurs élèves ; enseignants qui, par la nature de l’épreuve d’admissibilité changent de regard et doivent prendre le pari d’apprécier un potentiel. Cependant, M. Delhay, avec clarté et profondeur dans la réflexion, fait preuve de la plus grande modestie : l’expérience restera limitée, l’extension à d’autres établissements supérieurs ne fait que s’amorcer…
Cette première demi-journée se concluait par une réception, au Palais Ducal, par le Sénateur Maire qui montrait toutes les facettes de l’hospitalité Nivernaise.
Il appartenait à l’historien, Claude Lelièvre, de nous apprendre que c’est un libéral affiché, Guizot, qui introduit le terme de service public d’enseignement. Il oppose le principe commercial au principe patriotique (la marchandisation à l’intérêt général, dirait-on maintenant ?). Mais ce rejet du libéralisme scolaire se fait dans un contexte de séditions sociales : l’état central se fait éducateur pour que l’ordre (son ordre) règne, pour garantir la stabilité sociale. Guizot s’inscrit dans la continuité de Napoléon Ier qui conçoit l’université comme une sorte de congrégation laïque qui, comme la justice, est dirigée de façon spécifique. Jules Ferry aussi voudra soustraire l’école à l’esprit local, parcellaire et rétrograde. La Laïcité est d’abord l’affirmation positive d’une république une et indivisible avec une morale commune : une pensée unique, une foi commune pour un peuple, sans quoi il ne serait qu’une agrégation d’individus juxtaposés, dira Paul Bert. Ni Napoléon, ni Guizot, ni Ferry ne visaient l’égalité des chances ou le brassage social. L’école de la 3e république est une institution de l’inégalité standardisée.
Avec De Gaulle la centralisation sera à son apogée, mais en même temps la loi Debré (1959) fait évoluer la notion de service public : l’enseignement privé participe à une tâche d’utilité générale donc au service public. S’affirme aussi la volonté de brassage social avec les CES qui doivent être le creuset d’élèves venus de toutes les classes sociales. Le service public doit servir l’intérêt général et non être au service des publics.
En écho aux discours libéraux d’un Alain Madelin (inversion de la logique de l’offre et de la demande), 1984 voit les premières remises en cause de la carte scolaire, assouplissement dont ne profitent que 8 à 10% des familles. Cette « expérimentation » se poursuivra sans qu’une politique explicite soit affirmée.
Difficile de rendre compte de la conférence de Jean-Marie Albertini - « Décentralisation et enjeux républicains en Europe » - dont l’organe puissant sut pourtant capter toute l’attention des auditeurs, car très illustrée de schémas. Si ce n’est qu’avoir été – temporairement cependant – cancre, avoir même tâté du marché noir, avoir pratiqué des activités théâtrales, tout cela était aussi utile que des études économiques poussées pour être directeur de recherche au CNRS. Son propos prolongeait la journée du Sénat sur la formation tout au long de la vie et la VAE.
La dernière demi-journée fut un feu d’artifice intellectuel.
Elle démarrait par une table ronde qui réunissait les représentants de quatre organisations syndicales, animée par un ex- secrétaire général d’une confédération : tout pour craindre un festival de langue de bois massif. Il n’en fut absolument rien. Pour des raisons objectives : les leaders nationaux, Gérard Aschieri (FSU) comme Patrick Gonthier (UNSA), connaissent E&D, association avec laquelle ils ont participé à des textes communs et ne se situaient donc pas dans un contexte conflictuel. Mais surtout, grâce au talent de Jean Kaspar qui a su piloter le débat avec une autorité tranquille. René Grégoire (sgen-CFDT), le régional de l’étape, fit un plaidoyer vibrant du projet. Les thèmes de l’évaluation et de la qualité ne furent esquivés ni par G. Aschieri, ni par P. Gonthier. Anne-Marie Houillon, en écho à la conférence de J-L Rollot, rappelait le rôle du mouvement associatif… Et Jean Kaspar, pour conclure, n’hésita pas à s’interroger sur la notion de droits acquis !
Philippe Herzog, remplaçant au pied levé, Michel Barnier, fit sentir toute la profondeur de sa réflexion, dans une conférence de conclusion menée sur le ton de la conversation. Il rappela que l’Europe est une civilisation. Les « lumières » furent son apogée. Elle faillit sombrer dans les deux guerres mondiales. La construction européenne est un sursaut de civilisation. 
La difficulté à laquelle on se heurte au niveau européen est qu’en vertu du principe de subsidiarité les services public sont du ressort national : en France, le service public est incarné par l’état, mais il n’en est pas de même en Allemagne ou au royaume Uni, par exemple. Il faut donc installer une dimension européenne, en complémentarité, dans les Services d’intérêt général, c’est-à-dire les services que nous jugeons essentiels pour la personne humaine et la vie en collectivité et où les autorités publiques ont des devoirs, notamment de définir les obligations de service public. Il rejoint Jean Kaspar en préconisant pour l’emploi une mobilité qualifiante.
Cerise sur le gâteau, en rappelant qu’il fut membre du PCF, Philippe Herzog fit l’éloge du socialisme utopique, pas seulement celui de Saint-Simon, Prud’Hon ou Fourrier, mais celui de Jean Jaurès et du syndicalisme révolutionnaire qui ne refusait pas la prise en compte de la gestion dans le système capitaliste (ce dont témoigne encore le secteur de l’économie sociale).

Jean-François Launay.